L’éclipse Léo
20 jan
Mon Petit Bonhomme,
Décidément tu es partout. Cette nuit, une éclipse lunaire aura lieu et elle porte ton nom car au premier degré du Lion. C’est-à-dire une éclipse lunaire totale. Donc toi, Petit Astronaute de quatre mois et demi tu arrives à faire cela ? Nous sommes émerveillés chaque jour de tes prouesses intergalactiques.
Sur terre aussi, tu arrives à faire des choses formidables et extraordinaires. On parle de nouveau de toi dans un célèbre journal quotidien français (*). On évoque à quel point ton histoire touche le cœur des gens : paranges, parents, assistantes maternelles, personnes de tout âge, de tout métier, de tout statut. Des êtres humains tout simplement. Nous continuons, avec ton Papa, notre quête de justice en ton nom. Nous recevons un soutien immense, mon Léo. Cela fait chaud au cœur, non ?
Mais on a quand même du pain sur la planche. Tu sais c’est difficile parfois de faire changer les mentalités, les automatismes, les mœurs. Ceci concerne normalement les grandes personnes mais tu es d’ores et déjà un grand guide dans notre bataille pour briser un tabou et faire reconnaître les erreurs commises qui ont amené à ton décollage pour l’espace.
C’est quoi « tabou » ? Un sujet est tabou quand on ne peut/veut pas en parler. Quand les gens préfèrent fuir la discussion. Un petit bébé qui meurt, ce n’est tellement pas l’ordre des choses, ce n’est tellement pas censé arriver, cela fait tellement peur qu’on préfère taire le sujet. Et malheureusement, nous vivons un triple tabou concernant ton envol.
La mort d’un bébé.
Tout d’abord, le fait que tu ne sois plus de ce monde est tabou. Comme je te l’expliquais, cela fait peur et cela fait extrêmement mal. Ton Papa et moi pouvons parfois parler de toi pendant des heures, mais ce n’est vraiment pas évident de sortir des mots et aussi de les entendre. On aimerait plus souvent pouvoir parler de toi, pleurer en tant que tes parents car personne ne peut t’aimer plus ou te pleurer plus que nous mais nous souhaitons aussi sauvegarder le peu d’insouciance et de joie de vivre qu’il nous reste actuellement et qu’il y a autour de nous. Il faut savoir trouver sa place, ses mots, son moment. On apprend tous, chaque jour, à gérer ce tabou et les situations délicates que cela entraîne. Il y a des périodes où l’on voudrait prendre chaque personne qui prononce ton prénom dans nos bras et d’autres où chaque maladresse nous donne envie de hurler. Un médecin qui retient ton prénom et le prononce comme si tu avais aussi existé pour lui, me procure une joie immense. Un médecin qui me conseille de faire un autre enfant pour aller mieux, me donne envie de retourner son bureau. « Mais très bien ma bonne dame, auriez-vous l’ordonnance pour que j’aille direct à la pharmacie ? J’espère que la mutuelle rembourse quand même ».
La mort inattendue du nourrisson.
Ensuite, la cause de ton départ est également taboue. La mort inattendue du nourrisson. J’en ai frissonné pendant tellement d’années. Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours mais tou-jours vérifié la respiration de chacun des bébés que je gardais. J’ai rapidement compris qu’un tout petit bébé ne pouvait assurer sa sécurité tout seul. C’est du bon sens. C’est nous les adultes, les plus grands, qui protégeons les plus petits. La mort subite du nourrisson est taboue car vicieuse. Elle peut arriver partout et avec n’importe qui. Mais depuis plusieurs années, nous avons connaissance des prédispositions qui peuvent entrainer ce drame et des préconisations à respecter pour limiter les risques. Certaines d’entre-elles sont à l’opposé de ce qui était recommandé auparavant. Notamment la position du couchage. Un désaccord et un décalage sont donc aussi liés à ce tabou, comme si cela ne suffisait pas (on est bien d’accord : comment peut-il y avoir un désaccord et un décalage quand il s’agit de sécurité et de vie ?). Tu te rappelles sûrement que tu dormais toujours sur le dos. Nous veillions à ce que cette position soit respectée où que tu sois. Et les rares fois où tu étais dans une autre position, c’était sous notre extrême surveillance. Déjà qu’on passait nos journées à te regarder, notre Fils merveilleux, alors quand tu jouais sur le ventre ou tu dormais sur le côté pour ta petite tête plate, nos yeux étaient rivés sur toi et sur ton petit ventre qui se soulevait à chaque respiration. Aucun objet, aucune matière qui pouvait obstruer ta respiration ne se trouvait autour de toi. La température chez nous était toujours la bonne, les pièces étaient aérées et tu étais couvert comme il le fallait. Bref, on prenait soin de notre petit garçon. Logique.
Les responsabilités.
J’arrive donc à la troisième partie taboue concernant ton décès. Cela aurait pu être évité et cela ne serait pas arrivé avec nous ou avec nos proches. Car nous respections à la lettre les règles de sécurité concernant toute ta vie et tout ton petit être. Tu n’as jamais été mis en danger en notre présence. Malgré toute notre vigilance en tous points, nous t’avons confié à une personne qui ne respectait pas cela, ni les règles fondamentales de sécurité ni les règles des parents et qui aurait dû arrêter d’exercer ce travail qu’on fait normalement avec passion, avec cœur et avec responsabilité. Et pour cela, je suis désolée mon Fils car il ne s’agit plus d’un accident. Désolée de ne pas avoir senti que quelque chose clochait. Je sais, tu as raison, je n’aurais pu savoir. D’autant que les seules personnes qui auraient pu nous avertir, n’ont, elles non plus, pas fait leur travail correctement. Au-delà de l’atroce souffrance de ta perte, je ressens parfois cette culpabilité que tout parange ressent. J’ai l’impression d’avoir loupé quelque chose au niveau de mon instinct maternel. Mais oui je sais, je ne pouvais pas savoir, ton Papa non plus et toi non plus.
Alors voilà pourquoi, nous nous battons ton Papa et moi et toute notre famille pour que ces tabous soient brisés, que les règles de sécurité soient appliquées par tous et que les personnes responsables de ton décès le reconnaissent. Après cela, nous pourrons, tous les trois, main dans la main, faire en sorte que les mentalités, les automatismes, les mœurs changent. Rien n’est écrit dans le marbre, nous pouvons tous nous améliorer et toutes les professions doivent évoluer avec le temps et avec chaque nouvelle donnée collectée.
Désolée, encore une fois, mon Petit Cœur, ça fait beaucoup à encaisser mais je t’ai toujours tout expliqué. Comme quand tu étais dans mon ventre et comme quand tu étais dans mes bras. Cela a fait de toi un bébé paisible et serein, alors je continue en ce sens. Je sais que tu m’écoutes attentivement avec tes grands yeux qui sourient.
Lors de la prochaine éclipse lunaire totale en 2022, je suis certaine que bon nombre de ces éléments auront évolué voir changé grâce à toi, notre guide des Etoiles, grâce à ton copain Jules et à tous les autres bébés du ciel qui ont subi la plus grande des négligences de la vie.
Doux baisers vers toi mon Petit Garçon, je t’aime à l’infini.
Copyright (c) 2018-2019 L’Etoile Léo. Tous droits réservés.
Pas encore de commentaire