Les Répliques
11 avr
En sismologie, une réplique est un second tremblement de terre, généralement de magnitude inférieure, qui survient juste après le principal. Ce phénomène est valable également lors d’un traumatisme, en l’occurrence le deuil d’un enfant. On ne se rend pas compte de tous les dommages causés qui peuvent suivre et s’enchaîner. Nous sommes victimes à plusieurs niveaux : de ce séisme destructeur qui ravage tout sur son passage mais aussi de toutes les conséquences collatérales.
Elles rendent l’après, certains jours, presque impossible.
Il y a d’abord la charge mentale et physique. Se battre constamment avec soi-même de manière consciente et inconsciente. Toujours se surpasser pour aller de l’avant, pour ne pas sombrer dans le néant. Prendre sur soi, sur ses épaules. L’épuisement est pour ma part quotidien. A tel point que le soir je m’endors presque trop facilement pour une maman endeuillée. Ne devrais-je pas faire des insomnies ? Mais je suis fatiguée, exténuée. Chaque journée est, sans m’en rendre compte, éreintante. On nous avait annoncé directement la couleur : les contre-coups seront multiples et d’intensités différentes. Je pense avoir sous-estimé cette « période écho » des 1 an. La boulimie de la tristesse. Rien ne nous rassasie. Rien n’y fait. Une lutte infernale. Mon corps subit aussi de nombreuses répercussions. Les maux physiques me ramènent souvent à la réalité. C’est dingue à quel point son corps peut prendre sur lui pour nous donner un peu de répit psychologique. Un générateur de secours qui finit par ne plus prendre le relais. On tournerait presqu’en rond. Maux de tête, de dos, crises d’angoisse, sinusite sans fin, vertiges, problèmes de respiration. Comme si prendre soin de son deuil n’était pas assez prenant, il faut trouver d’autres ressources pour prendre soin de notre santé. De nous.
Il y a aussi la profession. Lors du tremblement de terre, Charles et moi avons été entourés par la première ligne de ces métiers qui vivent le deuil au quotidien. Ils sont donc préparés aux formulations, aux mots, aux procédures, aux gestes. Une bulle bienveillante, discrète, professionnelle, aidante, indulgente, compréhensive, juste et solidaire. Puis il y a ceux en seconde ligne. La PMI, la fameuse, qui appelle deux mois après le décès de Léo pour demander s’il est toujours sur la liste d’attente pour un vaccin. Je m’entends encore répondre, au téléphone dans le métro, « NON ! Car Léo est mort ». La Mairie à qui j’ai dû demander de rectifier notre livret de famille, la partie décès. Le tabou de la mort d’un bébé prend le dessus sur la formation et l’information. Lola, maman de Théa et Léna (@mamange_de_thea_et_lena sur Instagram) a été victime de ce manque de délicatesse et de communication. Lors d’un examen, à l’hôpital où elle avait accouché de ses filles, pour essayer de comprendre la cause de leur décès, l’accueil lui a demandé de combien de semaines elle était enceinte. Il n’y avait aucun suivi de dossier. Un des nombreux exemples sur la liste de ces malaises maladroits.
Il y a aussi la société. On est malgré nous perçus comme on ne l’est pas forcément. Heureux alors qu’on est malheureux et malheureux alors qu’on est heureux. Parce que notre moral n’est pas vraiment linéaire et parceque peu osent nous demander aussi comme nous allons. Vraiment. On a l’impression parfois de devoir justifier d’aller bien ou mal. Où peut-être est-ce aussi notre perception, notre raccourci, face à des regards réels certains jours ou que l’on interprète dans les mauvais ? Dans un deuil idéal – ces deux mots sont totalement incompatibles – nous voudrions que la terre entière s’adapte à nous sans malaise, sans complexe, sans explication. « J’ai l’impression de me recroqueviller sur moi-même car j’ai peur de déranger, de gêner, d’embêter…on ne se doute pas de tout ce qui vient avec la perte d’un enfant… » (Anaïs, maman d’Agathe, @journaldunemamange sur Instagram). Nous vient alors cette désagréable sensation que la vie continue autour de nous. Surtout autour. Pour nous aussi, mais autrement. Bien sûr que c’est paradoxal ce que nous ressentons car d’un côté nous ne voulons pas être traités différemment mais de l’autre nous nous retrouvons dans des situations où l’on aurait souhaité plus d’empathie et de compréhension. Peut-être que l’on voudrait décider, seuls, de se mettre à part ou pas et non l’inverse. Peut-être qu’il n’y a tout simplement pas de solution à un problème qui ne devrait pas exister : Comment se comporter avec des parents endeuillés ? Comment se comporter avec des proches de parents endeuillés ?
Il y a enfin, les coupables, les responsables, la justice. Dans certains cas, comme le nôtre et comme bien trop d’autres parents, la mort de notre enfant aurait pu, dû, ne pas arriver. Nous nous retrouvons à devoir nous battre également contre autrui. Tant de batailles pour des parents déjà fragilisés. Une autre amie, Célia, maman de Scott (@unefilledavril_ sur Instagram), découvre, elle aussi, que la mort de son fils aurait pu être évitée. « Ce ‘peut-être’ qui déclenche la tempête » comme elle l’écrit malheureusement si bien. « Un retour à la case départ ». Le ciel nous tombe une seconde fois sur la tête. Comment une chose aussi vaste et forte que le ciel peut s’écrouler non pas une mais deux fois sur nous ? Pourquoi ?
Quand je découvre aujourd’hui que l’existence des trous noirs est prouvée par photographie, je me dis que ça doit ressembler à ça dans nos esprits certains jours. Le vide noir qui aspire tout, tout autour de lui.
Les répliques sont imbriquées les unes dans les autres. Des tabous dans un tabou. Un engrenage difficilement maîtrisable mais qui doit être pris en compte et apprivoisé. Tout comme le deuil.
Que de leçons de vie.
Pour tous les paranges, vivant ces répliques.
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