La notion du temps
26 mai
Le temps, c’est un vendredi au bureau d’avant week-end qui serait extrêmement long mais aussi un dîner en bonne compagnie qui passerait trop vite. Le temps peut paraître infini voir extensible mais peut également nous donner le sentiment de filer entre nos doigts. Le temps rythme notre vie. Parfois il est de notre côté, parfois non.
Dans le deuil et dans notre cas, le deuil périnatal, le temps est comme notre ange et notre démon, notre jour et notre nuit, notre pile et notre face, notre force et notre faiblesse. Il est en quelque sorte notre meilleur ennemi ou notre pire ami.
L’ambivalence des sentiments. Cette foutue ambivalence des sentiments.
Il y a quelques semaines, j’échangeais avec une autre maman, comme moi, une maman particulière car la tête en permanence dans les étoiles. Je lui écrivais que le temps apaisait, soulageait mais éloignait aussi et donnait le vertige. En tant que maman, réaliser le temps passé sans son enfant est extrêmement culpabilisant. Aujourd’hui, cela fait un an et deux mois que Léo est décédé. C’est ma deuxième fête des mères sans lui. Mon cœur commence horriblement à s’habituer à l’absence tout comme il se serre douloureusement lorsqu’il se rend compte de la distance physique qui s’est immiscée entre mon Bébé et moi. Mon sang se glace quand je réalise que j’ai passé plus de temps sans Léo plutôt qu’à ses côtés, quand je me dis que j’ai plus d’expérience dans la parentalité du deuil que dans celle que l’on a pu vivre pendant quatre mois et demi. Puis je me dis que nous sommes des survivants de l’extrême d’être toujours en vie après ce cataclysme.
Chaque jour devient alors une victoire qui nous éloigne inexorablement de notre enfant. Survivre c’est vivre sans Léo.
Parfois j’ai cette sensation de perdre toute notion du temps. Je ne prévois ma vie que sur quelques jours, d’ailleurs je ne sais pas toujours lequel nous sommes, ni même parfois l’heure. Je suis spectatrice du temps qui défile autour de moi. Paradoxalement, mon cerveau calcule, quant à lui, instantanément et instinctivement dès que mes yeux se posent sur une date ou que mes oreilles en entendent une autre, s’il s’agit d’une période qui a eu lieu avant ou après la mort de Léo. Si à cette date précise, Léo était encore en vie. Le jour où ma vie a basculé est devenu, malgré moi, un repère temporel.
2017. Grossesse. Naissance. Avant.
2018. Vie. Mort. Trou noir. Pendant.
2019. Un an. Résilience. Après.
Les lundis me rappellent le jour de son décès mais aussi et surtout sa naissance. Les matinées me donnent plus d’énergie que les après-midis dont l’une l’a vu partir. Toutes dates après le 26 mars de cette année me soulageraient presque mais toutes celles d’avant me raccrochent à mon Fils. La notion du temps de parents endeuillés donne le tournis, fatigue, épuise même, mais fait tenir – aussi. Tout est paradoxal. L’ascenseur émotionnel. Un décalage horaire qui serait sans fin. Le temps fait mal mais le temps est indispensable.
Alors on laisse passer les secondes, les minutes, puis les jours et les semaines. On se donne du temps. On apprend à le connaître. On apprend aussi à se connaître, nous-même, dans l’effroi du deuil, doucement, sans se brusquer. Il faut se laisser du temps, il faut laisser le temps au temps. Il n’efface en rien la peine mais donne la possibilité de l’apprivoiser, de la comprendre et de l’accueillir.
J’apprends à prendre mon temps, à apprécier les moments qu’il m’offre. Je lui en veux autant que je l’apprécie.
Et puis j’ai décidé qu’on s’entendrait bien dorénavant.
(Au son de la musique « Leo » de Ludovico Einaudi).
Copyright (c) 2018-2019 L’Etoile Léo. Tous droits réservés.
Pas encore de commentaire