Toi…

27 mar

1er mars 2021, le décompte a commencé, je le ressens au plus profond de moi sans même regarder le calendrier. Je le sais ; on est en mars. Il faut absolument rayer ce mois du calendrier. Mars, restera à jamais incomplet, mon amour, tout comme moi qui suis incomplète.

9 mars 2021, Lohan fête ses 10 mois. Ce n’est pas censé être un cap, ce n’est plus l’âge que tu auras à tout jamais, ce n’est pas non plus le temps que tu auras passé dans mon ventre. Malgré tout, j’accuse le coup. Lohan me paraît si grand et tu me parais si loin. La culpabilité monte, ronge, s’installe. Elle m’empêche de dormir et parfois m’empêche de vivre. J’ai l’impression qu’être maman entre le ciel et la terre ne permet pas de se dédier de manière égale à ses enfants et j’en suis si désolée mes garçons.

13 mars 2018, je revis cette journée dans les moindres détails, comme toutes celles où tu étais en vie, auprès de nous. C’est à la fois si flou et si clair. Nous avions posé notre après-midi pour t’amener chez le pédiatre. Le jour de tes quatre mois. Papa et moi en avions profité pour nous offrir un petit restaurant en amoureux avant de te récupérer chez l’assistante maternelle. Chez elle. Elle.

14 mars 2021, nous nous rendons en région parisienne voir des amis, qui comme nous, ont connu l’innommable. Au volant j’aperçois les tours de la Défense, celles que je voyais de notre balcon, celles que je voyais de ta chambre. Je réalise à quel point cette vie est une autre vie. La vie d’avant le 26 mars 2018. On a beau rouler sur le périphérique, je me revois regarder ces tours au lever du jour avant d’aller au centre de PMA qui nous aura donné la joie de te rencontrer. Je me revois revenir dans notre appartement le cosy dans les mains et le bonheur dans le cœur. Je me revois arpenter les rues de notre ville, avec la poussette, en long, en large et en travers pour ne pas risquer de croiser des microbes dans les transports en commun. Je me revois aller avec Papa chez elle pour un entretien. Je me revois l’apercevoir de loin, dans la rue principale, quelques semaines après le drame. Je me revois dire à Charles qu’il était impossible de continuer à vivre ici. Il nous fallait quitter à tout prix cette ville mon bébé, même au prix des souvenirs qu’elle contient.

21 mars 2021, je craque. Tu me manques à en pleurer sans pouvoir m’arrêter, tu me manques à ne plus arriver à respirer, tu me manques à en perdre la raison. Un voile se pose devant mes yeux, le brouillard se lève dans ma tête.

22 mars 2021, le soleil est presque revenu dans mon esprit. Mon Léo, maman a parfois l’impression d’avoir deux visages. C’est le deuil et la vie sans toi qui m’impose le second, je le déteste mais je suis comme résignée dans ces moments-là, je dois passer par là. Cela ne peut être autrement ; on m’a arrachée mon premier petit garçon, cela serait complétement fou de ne pas vaciller à certains moments. Je dois apprendre à me juger moins sévèrement. J’ai le droit de vivre tout cela.

23 mars 2018, j’étais en déplacement professionnel dans la jolie ville de Lyon. J’avais fait l’aller-retour dans la journée car je limitais au maximum les nuits sans toi. J’en avais fait une seule pour un séminaire en Italie et c’était bien trop long. Le soir, en sortant de la gare j’ai retrouvé mes copines pour boire quelques verres avant de pouvoir te serrer dans mes bras. J’étais si fière et si heureuse de leur montrer des photos de toi.

24 mars 2021, j’attends avec impatience l’appel de ma psychologue. Elle me suit depuis le jour de ton décès. Je n’ai jamais réussi à la quitter malgré la distance. Son aide est bien trop précieuse et elle t’a vu, c’est si important pour moi. Elle sait que tu étais bien réel même si elle ne t’a connu qu’avec tes petits yeux fermés. Elle sait tout, absolument tout et je n’aurais jamais le courage de recommencer avec quelqu’un d’autre. Tu sais, je lui ai présenté ton petit frère il y a quelques mois. L’émotion dans ses yeux m’a profondément touchée. Elle travaille au sein d’un service où la fragile vie côtoie la mort et malgré tout elle exerce avec passion, dévouement et professionnalisme. Je lui dois beaucoup, tu sais Léo.

25 mars 2018, il s’agira des dernières photos de toi. Ton papa les a réalisées dans le parc à côté de chez nous. C’était un week-end parfait. La famille, les premiers jours de printemps, les températures plus douces, les couleurs qui se réveillent.

25 mars 2021, je prends connaissance, dans un épisode d’une série, de la catastrophe d’Aberfan qui a eu lieu en octobre 1966 au Pays de Galles. Le glissement d’un pan d’un terril a coûté la vie à 144 personnes dont 116 enfants. Un des personnages explique avoir marché et marché sans s’arrêter pendant de longues heures après avoir été sur les lieux du drame et notamment là où se trouvait l’école qui a été ensevelie. La mort d’un enfant ne devrait pas être possible, mon Léo. Je crois que je pourrais marcher aussi des heures me demandant, sans cesse, comment la vie peut-elle laisser faire cela ?

26 mars 2021, mes yeux s’ouvrent difficilement après une nuit presque blanche. Lohan a fait de la fièvre toute la nuit et nous nous sommes relayés, avec papa, auprès de lui. J’ai appelé le SAMU à 4h du matin. N’importe quel autre jour de l’année, j’aurais géré cette température, comme tous parents, vigilante mais rassurée. Mais en cette date et avec cette pandémie, je devais les appeler. J’ai donné simplement les faits mais ma tête les suppliait de me rassurer sur la santé de ton frère, trois ans jour pour jour après ton décès.

J’ai lutté pour faire barrage à la culpabilité qui me disait sournoisement que je ne pourrai pas non plus me dédier à toi en ce jour et finalement je t’ai senti au plus près de nous. A tel point, que lorsque Lohan s’endormait tout fébrile sur moi, j’avais l’impression de vous serrer tous les deux contre moi.

Tu m’as fait signe toute la journée, comme pour me faire tenir entre les images insoutenables qui me venaient par flash et l’inquiétude pour ton petit frère. J’ai réussi à m’autoriser un passage chez la coiffeuse qui m’a complimentée sur mes boucles d’oreilles ; « j’adore les étoiles ». Je souris, les yeux qui se remplissent de larmes ; « moi aussi ». Sur la route pour retrouver Lohan, je croise trois magnifiques arcs-en-ciel. Je n’en avais jamais vu d’aussi beaux. Merci mon Léo, j’avais besoin d’être auprès de toi hier et finalement c’est toi qui étais avec moi.

27 mars 2021, comme me l’écrit mon grand frère « bonne nouvelle, c’est un 27 mars ». Le décompte est terminé, mes poumons se gonflent à nouveau pour accueillir de l’air, je reprends des forces. Aujourd’hui, Papa et moi allons jardiner et décorer pour toi dans ton Petit Jardin. Rien ni personne ne pourra nous retirer notre rituel.

Mon Léo, ta perte entraîne parfois la mienne mais ton amour me fait toujours reprendre la raison. Je me relèverai toujours, parce que c’est nous, parce que c’est toi.

A toi, mon bébé joli.

Article Toi 26032021

Crédit photo Charles Pestana.

Copyright (c) 2021 L’Etoile Léo. Tous droits réservés.

8 Réponses à “Toi…”

  1. Kaz 27 mars 2021 à 18:41 #

    J’ai tout lu, le souffle court, tout vécu avec toi, avec vous. Ces dates impitoyables, la fièvre de Lohan… les mots sont faibles pour te dire à quel point je te serre fort dans mes bras, virtuellement. On ne se connaît pas, mais je connais ton combat, je connais Léo, et il vit aussi ici, sur une presqu’île du Finistère. Il vit un peu partout, finalement, ce petit astronaute :)

    PS : c’est au Pays de Galles et pas en Ecosse :)

    • L'Etoile Léo 28 mars 2021 à 19:25 #

      Merci pour ces mots et votre soutien. Je suis si heureuse de savoir que Léo voyage également dans le Finistère.
      Oups pour le Pays de Galle…je ne sais pas du tout d’où m’est venue l’Ecosse ;)
      Bien amicalement, Julie.

  2. SevArt 28 mars 2021 à 09:08 #

    Tendres pensées pour vous 5, les larmes ont coulé à la lecture de ton texte si beau, si poignant. « Je dois apprendre à me juger moins sévèrement ». Oh que oui Julie… Je vous embrasse bien fort

  3. Mamourse 29 mars 2021 à 10:20 #

    Ce texte n’est pas juste beau et puissant grâce à son écriture, c’est aussi que derrière les phrases jaillissent comme un cri sourd et un souffle de vie et d’amour qui dépassent tout,
    une écriture parallèle aux mots, une force de lucidité dans le chagrin et dans le dévouement : Léo jamais délaissé et Lohan toujours préservé : un équilibre et une abnégation délicats que seuls des parents aussi aimants et déterminés peuvent réaliser.

    • L'Etoile Léo 29 mars 2021 à 10:44 #

      Merci Maman, ce sont des mots réconfortants et bienveillants dont j’ai exactement besoin en ce moment.
      Je t’embrasse.

  4. Papours 29 mars 2021 à 13:04 #

    Je vous L’aime avec un grand L.

Laissez une réponse à Mamourse

Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus