Trauma
18 mai
J’ai toujours aimé mettre des mots sur les choses, pour tout. Selon moi, chaque mot a une signification particulière et il est important de trouver le bon. Peut-être encore plus quand il s’agit de choses invisibles et abstraites comme le sont les maux de l’esprit.
Il y quelques semaines, quelques mois même, j’intensifiais les rendez-vous avec ma psychologue de cœur, celle qui me suit depuis le décès de Léo, celle qui a vu Léo. Je sentais bien que cela n’allait pas bien. Et ce, malgré la culpabilité que j’essayais de chasser chaque jour ; « comment cela ne pourrait-il pas aller alors que j’ai Lohan, ce bébé soleil, à mes côtés ? ».
Justement.
Malheureusement, justement. Le bébé d’après peut aussi, malgré lui, raviver manque, douleurs et sentiments jusque-là insoupçonnés. Oui insoupçonnés malgré mon expérience de plus de trois ans de maman endeuillée.
Je tournais en rond, je ne me reconnaissais pas. Ce n’était pas moi cette femme, cette maman, cette Julie qui était épuisée de la tête aux pieds, qui baissait les bras devant des tâches insignifiantes du quotidien, qui voulait dormir 5 jours d’affilé ou se cacher dans sa voiture pour pleurer, qui vivait avec une chape de plomb sur sa tête, qui avait les yeux lourds et le cœur gros. Pas à ce point. Puis je me suis rendue compte, grâce à Alice, que j’avais des visions, qui étaient à la fois troublantes de réalité avec la journée du 26 mars 2018 et angoissantes d’imagination car transposées à Lohan, mon cadet arc-en-ciel.
Le constat était sans appel. Je voulais entendre les maux et mettre les mots dessus : troubles du stress post-traumatique (TSPT). C’était peut-être inévitable après avoir vécu la mort de mon fils mais je pensais sincèrement être passée au travers. J’avais même presque oublié que cela pouvait exister… Pour moi cela arrivait à des personnes ayant vécu des attentats, des accidents, des drames et j’ai dû cheminer un bout de temps avant de réaliser que moi aussi j’avais vécu un drame ; « un évènement extrêmement traumatisant ».
Ce fut à la fois la douche froide et à la fois un soulagement : on posait enfin les mots sur ce qui me rongeait depuis des semaines, on reconnaissait mon état de mal-être invisible. J’étais également rassurée de ne pas faire de dépression ou pire pour moi (car professionnelle du domaine) de dépression du post-partum. Enfin j’allais pouvoir m’attaquer à tout ce qui me hantait au plus profond de moi, sans même en avoir totalement conscience.
Ce fut un énorme pas en avant – moi qui pensais avoir accédé à tous les morceaux qui composent la résilience – parce que grâce à tout le travail réalisé main dans la main avec Alice, j’ai récemment pu lui dire avoir intégré que ce qui était arrivé à Léo n’était pas logique, pas normal et que cela ne pouvait donc pas arriver à Lohan.
Un petit pas pour l’homme mais un bond de géant pour une maman traumatisée.
Aujourd’hui, je ne me sens plus épuisée mais seulement fatiguée par moment et comme tout parent. Je ne baisse plus les bras sauf pour prendre mon fils tout contre moi. Dormir la nuit me suffit amplement. Je pleure encore, c’est nécessaire et normal, pour le coup, mais plus dans ma voiture. Ma tête est plus légère, tout comme mes yeux et mon cœur bat de nouveau normalement.
Cet état est certes fragile mais bien réel.
Je réalise tout le chemin parcouru depuis le décès de Léo. Je réalise que la vie a continué, autrement. Je réalise que le traumatisme du 26 mars peut rester « à sa place » même si je vis avec ses conséquences.
Je réalise que la survie a laissé place à la vie et pour de bon.
Aujourd’hui, j’écris cet article pour plusieurs raisons. Pour donner de l’espoir encore et toujours à tous les parents qui traversent ces mêmes trous noirs ; on finit à chaque fois par se relever.
Pour donner de mes nouvelles et dire que je vais bien ; je ferai toujours tout pour aller bien, soyez-en convaincus.
Et pour remercier Alice si jamais elle lisait ces lignes ; cet article est pour elle.
« C’est quand il y a quelque chose au-dessus de la vie que la vie devient belle ». Jean d’Ormesson.
Au son de la musique « Cornfield Chase » de Hans Zimmer (B.O Interstellar).
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C’est un pas magnifique que tu as réalisé là. La perte d’un bébé de la MIN est un violent traumatisme, moi j’ai été obligée de l’intégrer en constatant que je garde de grosses séquelles même presque 18 mois après: de gros troubles de l’attention et de la concentration. C’est la marque du trauma et de sa puissance. J’apprends à cohabiter avec. Tu as le droit d’avoir des moments durs, même avec Lohan, le manque de Léo reste là. Tu es très courageuse d’avoir osé regarder en face ce qui t’arrivait.
PS: très bon choix de musique, j’adore Hans Zimmer!
Merci beaucoup Caroline, je pense très fort à toi et à ta petite famille.
Bonjour Julie,
Quel beau texte, si parlant et si poignant. Je suis heureuse de lire ces lignes, je pensais au début de ton texte à cette phrase que m’a dit mon médecin quand je lui ai demandé comment il était possible que j’ai pu survivre au décès de mon bébé alors que la naissance tant rêvée de son petit frère me faisait sombrer dans une dépression du post-partum… « car il ne s’agit plus là de survivre mais de réapprendre à vivre ». Ces mêmes mots que tu écris plus bas… Nous sommes des parents qui avons appris à nous battre pour nous relever de l’inimaginable, le chemin vers la vie, vers la confiance en la vie, vers la confiance en nous, sans madame C comme tu le dis, demande un lâcher prise tellement effrayant mais quand on y arrive, même juste un peu, que c’est beau et apaisant!
A nos petits bébés des étoiles et à nos petits bébés soleils. Qu’ils grandissent encore et toujours et que leur vie soit belle!
C’est très beau et très touchant, merci Noémie pour ces mots remplis de justesse et d’espoir.