Entre deux mondes

18 août

Entre deux mondes, entre la mort et la vie, entre le ciel et la terre, entre Scott et Mia, entre Mayssa et Jihane, entre Léo et Lohan. Entre deux mondes, avec un seul et même cœur ; celui de trois mamans et tant d’autres encore.

Célia, qui a perdu son premier enfant, Scott, en décembre 2018, lors d’un violent hématome rétro-placentaire à trente-huit semaines de grossesse. Le premier jour de vie de Mia, sa petite sœur née en août 2020, un tourbillon d’émotions l’envahie et elle a eu besoin de mettre des mots sur cette journée, sans filtre.

Besma, qui a dû faire face au décès in utero de son aînée, Mayssa à trente-sept semaines de grossesse, le 7 mars 2019. Mayssa est décédée d’une intervillite chronique de haut grade (cause peu connue et rare mais récidivante). Cette intervillite a failli emporter son bébé arc-en-ciel, Jihane, née le 24 juillet 2020. Besma a souhaité s’exprimer sur l’arrivée du bébé d’après car celui-ci est souvent perçu comme le bébé sauveur de tous les maux. Cette idée doit être démystifiée. Ce n’est ni son rôle ni sa capacité. Beaucoup de nouvelles choses dans la vie de maman endeuillée commencent à se démêler au moment de son arrivée. C’est donc une nouvelle étape dans le deuil de l’enfant perdu.

Julie, qui a perdu son premier garçon, Léo, décédé d’une Mort Inattendue du Nourrisson (MIN) à quatre mois et demi chez l’assistante maternelle en mars 2018. Lohan, son petit grand frère, est né en mai 2020. Il aura fallu l’arrivée miraculeuse de son fils cadet pour que son corps et son esprit mesurent toute l’absence de son ainé. Elle a souhaité parler de ce tabou imbriqué dans celui du deuil d’un enfant ; la dualité des sentiments entre l’état dépressif post-traumatique en répercussion à la mort et le bonheur procuré par un bébé plein de vie.

 

Quand on perd un enfant, se pose très rapidement la question du bébé d’après. Nous, parents endeuillés, souhaitons plus que tout continuer ce rôle que nous chérissons tant. Nous sommes nombreux à avoir eu cette envie presque folle de recommencer, de continuer. Même après la mort.

En théorie, on pense à une grossesse extrêmement stressante et à un accouchement bouleversant mais on a beau parler de « bébé d’après », on ne voit justement pas après. Il faut le vivre pour le savoir.

En pratique, on entre dans la plus angoissante des vies, on doit cohabiter avec la peur de tout, on peut combiner un bout d’une dépression du post-partum avec une moitié de stress post-traumatique, tout en ressentant un feu d’artifices d’amour et de joie (et de fatigue) permanent.

Cet écrit leur est venu au fil de leurs échanges, quotidiens, entretenus pendant la première année de leurs trois bébés arc-en-ciel. Ces mots sont le fruit d’une amitié née grâce à trois petites étoiles.

 

« Tu viens enfin d’accoucher de ce bébé tant désiré. Ce bébé arc-en-ciel comme on l’appelle, celui qui vient après un deuil périnatal. Ou plutôt après un bébé décédé. Tu as passé toute la grossesse en apnée tellement tu avais peur de le perdre ce bébé, peur que lui aussi meurt dans ton ventre, peur aussi de mourir toi-même. Mais non, tu as accouché et vous êtes en vie tous les deux.

Le miracle de la vie a eu lieu (une césarienne programmée à 37SA pour éviter le risque de récidive est loin du miracle de la vie mais passons).

Tu te dis que tu vas enfin souffler… Mais en fait, tu te rends compte que ce bébé, il peut mourir aussi en dehors de ton ventre désormais. Tu n’avais pas pensé à cela avant, tellement préoccupée par cette grossesse. Tu pensais que tes angoisses fondraient telle la neige au soleil avec son premier cri. Alors que tes angoisses, elles ne font que commencer…

Tu es en salle de réveil, après ta césarienne, ton bébé tête comme un chef mais son nez est vraiment collé à toi. Comment va-t-il respirer ? Angoisse. Ton bébé a fini par s’endormir. Mais comment je sais qu’il respire ? Angoisse. Ton bébé est né depuis une heure te voilà en train de demander à ton mari d’acheter en ligne un moniteur de surveillance de respiration pour la maison. Parce que tu as compris que tu ne pourrais pas gérer cette angoisse sans aide.

À peine une heure, c’est le temps que tu as eu pour profiter sans angoisse. Maintenant c’est parti pour la surveillance accrue. Ce bébé doit rester en vie, tu dois tout contrôler et surtout sa respiration. Tu vis dans un monde où tu sais qu’un enfant peut mourir. Très vite. Trop facilement. Tu connais tous les risques. Et tu te renseignes sur ceux que tu ne connais pas. Qu’on ne te parle pas de statistiques ou de foudre qui ne tombe pas plusieurs fois au même endroit ! Oh non pas à toi.

C’est ton premier jour et tu as tout cela en tête quand tu regardes ce bébé arc-en-ciel. Tout cela et aussi, le manque de ton aîné… Ces yeux qui s’ouvrent sont d’une beauté sans nom et renvoient douloureusement aux yeux qui n’ont jamais pu s’ouvrir sur le monde. Ce visage dont tu es folle, c’est le même que celui que tu as caressé les yeux remplis de larmes. Pour le monde tu es une maman comblée. Comme le vide de ta vie, comblé aussi. On te répète que désormais ce n’est « que du bonheur » et tu acquiesces sans un bruit. On ne veut plus entendre tes angoisses ou ta peine. Tu n’as plus le droit. Tu as un bébé en vie dans tes bras. On attend de toi l’incarnation même du bonheur. L’oubli du deuil et le post-partum merveilleux. Alors souris. Abracadabra, te voilà guérie. »

Célia, maman de Scott & Mia.

 

« Il n’y eut pas plus grand appel à la vie que mon besoin d’avoir un deuxième enfant. Très vite. Tout en ayant en tête que son rôle n’était pas de compenser quoi que ce soit. Le temps a fait que j’ai eu plusieurs fausses couches avant que Jihane ne s’installe. Neuf mois après la mort de Mayssa jour pour jour. Mes angoisses se concentraient sur la grossesse, ayant perdu Mayssa in utero à 37SA. Mais à être trop concentrée dessus, je ne me suis pas préparée à l’après : « et si elle vivait » ?

Lorsque Jihane est arrivée par césarienne d’urgence puis lorsqu’elle a passé deux semaines et demie en neonat, j’ai découvert d’autres aspects de la grossesse et du bébé d’après. LA PEUR DE TOUT.

Je n’ai jamais pu trouver de répit dans les statistiques. Quand on fait partie d’un petit pourcentage, on s’en fiche des statistiques. Je ne me sentais plus à l’abri de rien. C’était oppressant, un coup de poing permanent dans le ventre. « Svp ne me la reprenez pas svp svp svp ». Donc je me répétais comme un mantra qu’elle était là, qu’elle était en bonne santé. Là maintenant.

Je prenais plein de photos parce qu’on ne sait jamais s’il ne me restait que cela. Dieu sait que je ne suis pas seule maman endeuillée à avoir ces réflexes… Je pensais honnêtement parfois tourner folle d’inquiétude. Le temps, mon mari, les professionnels de santé, ma famille, mes amis, pour qui l’arrivée de Jihane n’avait pas vocation de « résoudre », m’ont énormément aidée. Mais surtout… mes amies mamans endeuillées. Elles savaient…

Mon coeur s’est agrandi et le bonheur d’avoir Jihane a entamé une cohabitation avec le manque de sa grande sœur. Ce qui m’a le plus frappé et fait mal, c’était de réaliser concrètement ce que je n’ai jamais pu vivre avec Mayssa. Le quotidien tourbillon nous aide à étouffer souvent ce genre de pensées. Et puis on trouve un nouvel équilibre…

Jihane a maintenant un an. Une année. La rétrospective de sa première année est tellement riche en amour et en oxygène qu’il me serait bien difficile de vous la décrire davantage. Cela ne m’a pas empêché d’avoir les désagréments liés au manque de sommeil et compagnie. Mais cela m’a donné une cape supplémentaire pour savourer chacun de mes moments en famille.

Je trouve mon bonheur, à présent, grâce à elles. »

BESMA, maman de Mayssa & Jihane.

 

« Les symptômes du stress post-traumatique ont commencé par la vision de Lohan endormi. Nourrisson, il ressemblait beaucoup à son frère. Peut-être trop. Je passais de la maman normale regardant son bébé dormir pendant des heures à la maman traumatisée dont le cœur s’emballe revoyant son ainé, sans vie.

La première fois que j’ai entendu Lohan se retourner dans la nuit et que je l’ai vu sur le ventre j’ai fait une crise de panique. Léo est décédé dans cette position chez l’assistante maternelle. En pleine nuit, fatiguée et stressée, c’était dur de relativiser et de reprendre ses esprits.

La première fois où le dispositif de surveillance de mouvements a sonné, car Lohan dormait en boule en dehors de celui-ci, là aussi j’ai fait une crise d’angoisse.

Le cap de l’âge de Léo fut tout autant une appréhension qu’un soulagement. Quatre mois et treize jours. J’ai fait le décompte presque minute par minute. Je serais incapable d’expliquer ce que j’attendais ou redoutais, c’était irrationnel. Mais c’était ainsi.

J’étais si loin de m’imaginer autant de coups durs lorsque je me projetais avec un second enfant. Au-delà de la fatigue du post-partum, j’ai passé des jours et des jours à me dire que j’allais perdre encore un bébé. Il m’était juste impossible d’imaginer un avenir avec lui. Je m’étais enfermée dans des images traumatiques que je transposais à mon second fils.

L’état dépressif s’est emballé lorsqu’on approchait des trois ans du décès Léo. Comment vivre cette journée et les jours qui la précèdent avec l’état sombre que cela entraîne quand on a un bébé plein de vie dans les bras ? Quelle culpabilité extrême d’être maman entre ciel et terre. On ne sait jamais comment bien doser : la tristesse profonde et les choses lourdes que le deuil d’un enfant entraine avec le bonheur intense et le quotidien rempli de magie aux côtés de son enfant.

Il m’a fallu presqu’une année pour accuser le coup, encaisser et apprivoiser cette nouvelle vie. Une année, un suivi psychologique renforcé, de nombreuses discussions avec ma famille et mes amis et une quantité astronomique de larmes versées.

À présent, tout s’est équilibré, non sans mal. Le bonheur prend largement le dessus. Il l’a toujours pris d’ailleurs. Ce bonheur est magique et il l’est peut-être encore plus car j’estime la chance que j’ai d’avoir un bébé dans ma maison, dans ma vie, contre mon coeur. 

Quand je regarde Lohan, je regarde la vie, ma vie, l’avenir et mon cœur explose d’amour pour lui et pour tout ce que nous allons vivre ensemble. »

Julie, maman de Léo & Lohan.

 

Entre deux mondes Mia a découvert la mer pour deux, entre deux mondes, Jihane a des empreintes de pieds dans sa chambre qui ne sont pas les siennes, entre deux mondes Lohan a pris la relève auprès du doudou de Léo.

Nous sommes des mamans presque comme les autres, des mamans incomplètes mais des mamans remplies d’amour pour leurs enfants.

Ce texte est une ode à la vie et à l’amitié.

Article Entre deux mondes

Copyright (c) 2021 L’Étoile Léo. Tous droits réservés.

2 Réponses à “Entre deux mondes”

  1. Coralina (air-et-ailes) 18 août 2021 à 20:39 #

    Merci à toutes les trois pour vos mots qui s’entremêlent avec autant de justesse et d’authenticité. Belle et longue vie à vos « enfants d’après » qui seront toujours liés, pour le meilleur, à leurs aînés.

Laisser une réponse

Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus